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En Australie, un état s’est alimenté à 100 % en énergie photovoltaïque !

En Australie, un état s’est alimenté à 100 % en énergie photovoltaïque !

 

Ce qui s’apparente pour certains à une chimère techniquement irréalisable a eu lieu : le 11 octobre dernier, pendant 2h, la consommation électrique de l’état d’Australie Méridionale a été assurée dans son intégralité par l’énergie photovoltaïque. Une première pour un territoire de cette taille.

Il n’aura échappé à personne que l’évolution du système électrique français suscite souvent de grands débats enflammés qui laissent peu de place au consensus apaisé. D’un côté, les partisans du nucléaire bas carbone et pilotable fustigent l’intermittence du solaire et de l’éolien, quand de l’autre les sympathisants des énergies vertes vitupèrent contre les déchets radioactifs qui s’entassent inexorablement. Rassurez-vous : ces lignes n’ont pas l’ambition de trancher ce nœud gordien.

Difficile, donc, d’anticiper les choix nationaux à venir, entre le téméraire renouvellement d’un parc nucléaire vieillissant et le pari audacieux d’un développement massif des énergies éolienne et solaire. Audacieux, vraiment ?

Pour faire un bond dans le temps, il suffit parfois de faire un bond dans l’espace. Transportons-nous donc de l’autre côté de la planète, du côté de l’Australie Méridionale, un des six états qui constituent la plus étendue des îles d’Océanie.

Grand comme 2 fois la France, peuplé d’à peine 2 millions d’habitants et constitué de vastes étendues désertiques, ce territoire concentre plus de la moitié de sa population dans sa capitale, Adelaïde. A l’Est, ses deux états voisins de Victoria et de Nouvelle-Galles du Sud rassemblent les deux plus grandes villes du pays sur une côte qui constitue le centre politique, économique et industriel du pays.

C’est également le long de cette côte est et sud-est, depuis Cairns au nord, jusqu’Adelaïde au sud, en passant par Brisbane, Sydney, Melbourne, et la capitale politique Canberra, que s’étend l’un des plus longs réseaux électriques interconnectés au monde, géré par le National Electricity Market (NEM). A l’extrémité sud, l’état d’Australie Méridionale est relié à ce réseau par deux lignes très haute tension, ce qui lui permet d’importer ou d’exporter de l’énergie en fonction de ses besoins locaux. [1]

L’Australie n’est pas connue pour avoir un mix électrique très renouvelable : le pays produit une des énergies électriques la plus carbonée au monde, en raison notamment d’une présence abondante de charbon sur son sol, qui est malheureusement encore largement utilisé dans les centrales électriques des environs de Melbourne et de Sydney. Néanmoins, localement, ce constat peut varier et ce qui est vrai dans les états de Victoria et de Nouvelle-Galles du Sud ne l’est pas en Australie Méridionale. Là, c’est des centrales électriques au gaz qui assurent la production, au côté d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques.

L’énergie solaire en circuit court

La production d’énergie solaire y est justement en plein développement : trois centrales photovoltaïques peuvent d’ores et déjà fournir 315 MW à pleine puissance, ce qui est certes remarquable, mais qui reste sans commune mesure avec la puissance solaire disponible chez les particuliers : 1 700 GW de panneaux solaires sont actuellement en service sur plus de 288 000 toitures (soit près d’une habitation sur trois dans cette région australienne) [2] .

Et ce qui devait arriver arriva : le dimanche 11 octobre 2020, pendant 2h, la totalité de la consommation électrique de l’état fut assurée par la production photovoltaïque. Le graphique ci-dessous représente la production et la consommation électrique d’Australie Méridionale ce jour-là.

Entre 12h et 14h, pour la première fois sur un système électrique d’une telle taille, la production d’énergie solaire a compensé la totalité de la consommation électrique. Et cette production solaire a été assurée à près de 80 %, non par des centrales photovoltaïques, mais par les centaines de milliers de petites installations en toiture des particuliers. Cette prouesse technique, car c’en est une, est le résultat de plusieurs facteurs : un ciel dégagé permettant un ensoleillement optimal et des températures clémentes qui assurent une consommation électrique relativement modeste. Le diagramme en boite situé sur le côté du graphique, montre en effet que le niveau de consommation est habituellement un peu plus important que ce jour-là [1] .

Un lecteur avisé remarquera que les centrales au gaz ne se sont pas complétement arrêtées : elles ont continué de fournir plus 200 MW d’énergie électrique, énergie qui a donc été exportée vers l’état voisin de Victoria (et qui a ainsi permis de limiter, là-bas, l’usage de centrales à charbon). Néanmoins, l’export n’est pas la cause principale du maintien de cette production au gaz : elle répond plutôt à une problématique technique. [3] [4]

L’équilibre en vélo

Pour fonctionner de manière optimale, un système électrique a besoin d’être stable, tant en niveau de tension (les 230 V de nos prises électriques), qu’en fréquence (les 50 Hz de notre réseau). Comme l’électricité ne se stocke pas en tant que telle, à chaque instant, la production doit systématiquement être égale à la consommation.

En cas d’aléa momentané, c’est l’inertie des énormes alternateurs en rotation dans les centrales de production classique qui permet de stabiliser le système. Imaginez-vous sur un vélo : lorsque vous arrêtez de pédaler, le vélo continue d’avancer et vous permet de conserver votre équilibre : son inertie vous autorise de courtes pauses dans votre cadence de pédalage sans que cela n’affecte votre trajet.

Imaginez désormais que votre vélo est sur un tapis roulant (les panneaux solaires) : si vous souhaitez conserver votre équilibre, quelle que soit la vitesse du tapis roulant, il faudra bien que vous pédaliez un petit peu. Pour un système électrique, c’est la même chose. [5]

Dans un panneau solaire, il n’y aucun alternateur en rotation qui permet d’assurer l’inertie de la fourniture électrique : le système s’en trouve fragilisé, et risquerait la chute au moindre aléa. C’est pour éviter de tels problèmes que l’Australie Méridionale impose actuellement d’avoir un minimum de centrales au gaz en fonctionnement.

Mais cette solution n’est pas inéluctable : en effet, il est possible de créer artificiellement de l’inertie électrique à l’aide de compensateurs synchrones. Quatre de ces machines au nom barbare doivent être mises en service dans l’année à venir dans cet état australien, ce qui permettra à terme de pouvoir stopper totalement la production au gaz lorsque la production solaire sera suffisante.

Car le développement du solaire continue, ce qui rendra la performance du 11 octobre de plus en plus fréquente, et donc de moins en moins remarquable : chaque mois, en Australie Méridionale, 2 500 nouvelles habitations sont équipées de panneaux photovoltaïques [2] et un cabinet spécialisé prévoit une puissance totale de 2 800 MW de solaire en toiture d’ici 2030 [4] .

Que faire de l’inéluctable surplus qui risque d’apparaitre un jour ? Il sera possible de stocker de l’énergie dans des batteries chimiques – la Hornsdale Power Reserve, une batterie gigantesque de 194 MWh de réserve et de 150 MW de puissance, gérée par une entreprise française, est déjà opérationnelle depuis 2020 – pour la restituer la nuit par exemple [6] [7] . Ou sous forme d’hydrogène, pour une utilisation ultérieure dans des véhicules qui acceptent ce combustible.

Ou encore en exportant cette énergie vers d’autres états voisins : la construction d’une nouvelle ligne d’interconnexion avec l’état de Nouvelle-Galles du Sud est d’ailleurs en projet [3] .

L’électricité ne se stockant pas, le surplus d’énergie solaire peut également mettre en danger la stabilité du réseau électrique. Ainsi, le gestionnaire du réseau australien, l’Australian Energy Market Operator (AEMO), développe de nouveaux outils techniques qui lui permettront d’agir à distance sur les installations solaires des particuliers, afin de les déconnecter momentanément du réseau en cas d’afflux trop important d’énergie électrique. [3]

Le graphique permet également de constater une évolution importante dans la gestion des réseaux électriques. Alors que dans un système traditionnel, la production électrique centralisée dans de puissantes usines transite à 100 % sur le réseau de transport très haute tension, le système décentralisé d’Australie Méridionale évite cette étape puisque la puissance solaire, disséminée géographiquement, est produite sur le réseau de distribution, là même où les consommateurs sont raccordés.

Ainsi, ce nouveau mode de production décentralisée permet d’éviter l’utilisation du réseau très haute tension en journée : « L’état d’Australie Méridionale connait un déferlement d’installations de toitures solaires. AEMO prévoit 36 000 nouveaux équipements photovoltaïques sur les 14 mois à venir, ce qui signifie que le réseau d’Australie Méridionale ne verra plus aucun transit lorsque les toitures solaires seront capables de répondre à 100 % de la demande »explique Audrey Zibelman la directrice générale de l’AEMO [2] .

Un laboratoire expérimental… à taille réelle

Certes, cet état d’Australie n’est pas la France, ni en terme de population, ni en terme d’ensoleillement, mais cet exemple est enrichissant à plus d’un titre. Tout d’abord, il montre qu’un système 100 % solaire (et plus généralement 100 % renouvelable) peut fonctionner sans mettre en danger la stabilité du réseau électrique, même si le gestionnaire australien reconnait avoir dû résoudre des problématiques techniques inhérentes à un tel taux de pénétration d’énergie renouvelable.

Il démontre également la faisabilité d’une production solaire locale et décentralisée, rendant caduque la construction de grands champs de panneaux photovoltaïques et l’artificialisation des sols qui les accompagnent. Enfin, il nous rappelle que ni le solaire ni l’éolien ne seront suffisanst tant qu’aucune technologie de stockage énergétique à grande échelle ne sera viable.

Ce qui ouvre ainsi la porte au maintien – au moins momentanément – de certaines centrales de production classique… et donc, pour la France, de ses centrales nucléaires ?

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Pour aller plus loin :

[1] Site web de l’Australian Energy Market Operator (AEMO) et la page AEMO Map.

[2] Australian Energy Market Operator (AEMO),Solar power fuels South Australia’s total energy demand in global first, publié le 16 octobre 2020.

[3] RenewEconomy,Solar meets 100 per cent of South Australia demand for first time, par Giles Parkinson, publié le 12 octobre 2020.

[4] Bloomberg,South Australia Is a Time Machine Into the Solar-Powered Future, par Nathaniel Bullard, publié le 4 février 2021.

[5] Pour comprendre ce phénomène, voir la vidéo explicative (3 minutes 28) réalisée par RTE et intituléeIntégration des ENR, RTE facilitateur de la transition énergétique.

[6] Site web de la Hornsdale Power Reserve, le plus grand site de stockage par batterie lithium-ion au monde.

[7] Site web de l’entreprise française Neoen, qui a développé en partenariat avec Tesla et qui opère depuis 2017 la Hornsdale Power Reserve.

 

La version originale de cet article a été publiée sur Le Monde de l'Energie.

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